Le PLFSS pour 2024, soutenu par 49.3, poursuit l’austérité de la politique de santé qui a abouti à l’état de délabrement actuel de notre système de soins. En faisant le choix de privilégier la santé des comptes publics sur celle des Français, le gouvernement risque de perdre sur les deux tableaux en induisant une nouvelle crise sanitaire.
Paris, le 31 octobre 2023
Pour la première fois de son histoire, le vendredi 20 octobre, la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a rejeté ensemble le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et son objectif national de dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM). En usant par deux fois en une semaine de l’article 49.3 de la Constitution, le Gouvernement vient de faire savoir à la représentation nationale que cet ONDAM à 3,2% n’était pas négociable. Mais, par la teneur de ce PLFSS, le gouvernement, qui prétend avoir une démarche de « responsabilité » relative à l’équilibre des comptes publics, prend surtout une lourde responsabilité à l’égard de la santé des Français.
Tout d’abord parce qu’il a estimé, contre l’avis de nombreuses administrations concernées, un ONDAM qui reste, en pleine inflation, dans la moyenne des précédents depuis plusieurs décennies : cette contrainte purement comptable, sourde aux besoins réels et croissants de soins des Français, a déjà montré, dans une suite d’autres mesures d’austérité (numerus clausus, lois constitutionnelle et organiques de financement de la sécurité sociale, HPST, loi de modernisation du système de santé, loi Santé 2022, etc.) son effet délétère sur notre système de soins. L’hôpital s’effondre ; la France est un désert médical ; mais l’Etat continue obstinément son cap littéralement mortifère.
Mais cette responsabilité gouvernementale est aggravée par des articles du PLFSS qui, avec le même argument d’économie, vont avoir des conséquences délétères en matière de santé publique. Ainsi de cette obsession suspecte des arrêts de travail, dont les prescripteurs sont l’objet d’une campagne de contrôle, alors même que leur augmentation généralisée, donc systémique, est due en premier lieu à des managements pathogènes, puis à la pénurie de soignants elle-même qui allonge les délais de prises en charge spécialisées. Avec l’article 27 du PLFSS, le patient pourra voir ses indemnités journalières coupées instantanément sans avoir le temps de demander un recours, dès que le médecin contrôleur mandaté par l’employeur aura estimé injustifié ou excessif l’arrêt de travail prescrit par le médecin traitant connaissant le malade. On peut imaginer les conséquences : dans le cas de troubles anxio-dépressifs « psycho-sociaux », l’arrêt de travail est souvent la seule protection de l’employé avant une déclaration d’inaptitude, et la principale prévention de son suicide. Rappelons-nous de l’hécatombe à France Telecom il y a 15 ans.
Même si elle est déjà sensible, on ne peut encore prédire le niveau de la surmortalité qu’induira cette carence de moyens, par retards de diagnostics et de traitements, par défaillances des urgences, mais ces morts évitables seront certainement vécues plus scandaleusement par les Français que celles du COVID. Alors que la gabegie de la gestion de notre système sanitaire par une sur-administration est dénoncée régulièrement par la Cour des Comptes, ce gouvernement sera plus coupable que ses prédécesseurs de ces décès par défaut d’investissements adaptés aux besoins de soins des Français, parce qu’il l’aura décidé en pleine connaissance de ses effets désastreux sur leur santé.
Mail adressé aux membres de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, parmi les derniers à pouvoir amender à la hausse le budget de l’Assurance Maladie (ONDAM) du PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) pour 2024 limité à 3,2% quand on en est à la deuxième année d’une inflation du double. Un décalage qui va rendre le conventionnement des soignants invivable et ainsi accélérer la spirale d’implosion de notre système de santé.
Monsieur/Madame le député,
Effondrement de l’hôpital, « déserts médicaux » : la disparition de plus en plus accélérée de l’offre de soins vient sanctionner trente années de politiques essentiellement comptables de la santé depuis les lois de financement de la Sécurité sociale en 1996, qui ont remplacé sa gestion paritaire qui avait fait ses preuves depuis la Libération. Le blocage obsessionnel de l’ONDAM pendant toute une génération perdure même en ces années d’une inflation qui va accélérer cette implosion du système de santé si on ne change pas de logique de gestion de la santé avant qu’il ne soit trop tard. C’est-à-dire immédiatement.
Au moment où vous vous apprêtez à examiner le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, nous nous sentons le devoir de vous alerter de la responsabilité toute particulière que vous allez prendre en tant que membre de la représentation nationale et de la commission des affaires sociales lors de vos votes qui y seront relatifs. Dans le contexte économique actuel, l’enjeu des LFSS ne devient pas moins que la survie du système de santé français, et notamment de la santé libérale.
Depuis des années, l’offre de soins dans les territoires diminue progressivement jusqu’à parvenir à ce que l’on appelle les « déserts médicaux » où nombre de patients ne trouvent plus de soignant. La gravité de cette crise prend une dimension telle qu’elle en devient un problème majeur de santé publique qui risque de toucher au taux de mortalité et à l’espérance de vie des Français dans les années à venir. La pyramide des âges des médecins laisse même prévoir une accélération de son aggravation. Face à un tel péril sur leur santé collective, toute erreur d’analyse et toute errance de solution constitueraient des fautes qui se paieraient en pertes d’années de vie pour les Français et par la destruction de l’organisation des soins qui est l’un des fondements du pacte social de la nation depuis la dernière guerre.
Surestimation de la cause du numerus clausus Il est convenu d’attribuer une grande part de cette carence, qui s’étend d’années en années, à la politique de numerus clausus des études de médecine qui a été menée pendant plusieurs décennies, précisément pour réduire cette offre de soins réputée être une source de dépenses de santé. Comme si celles-ci avaient à être considérées comme un vice. Si ce numerus clausus constituait véritablement la cause principale de la situation actuelle, nous pouvons craindre de n’en pas voir d’amélioration avant longtemps, puisque la prétendue fin de ce numérus clausus est largement compensée par la persistance de limites d’accès aux études de médecine. A commencer par Parcoursup qui voit nombre de postulants aux cursus de la santé ne pas parvenir à y accéder ne serait-ce que pour ne pas avoir su choisir les bons enseignements spécialisés au lycée. La seule différence de ce nouveau barrage est qu’il permet l’économie d’un concours, tout en étant bien plus inégalitaire. Toutefois, si l’on veut bien faire une analyse plus approfondie des causes de l’extension des déserts médicaux, on s’aperçoit du caractère relatif de l’implication du numerus clausus dans ce problème : – Le numerus clausus n’explique pas pourquoi la pénurie touche l’ensemble des soignants, professionnels médicaux comme auxiliaires médicaux ; – Le numerus clausus n’explique pas pourquoi, alors qu’une grande majorité d’étudiants y aspire, seul un dixième des nouveaux docteurs en médecine s’installe en libéral; – Le numerus clausus n’explique pas pourquoi de plus en plus – et déjà pas moins d’un quart – des jeunes médecins optent pour une activité de remplacements.
Une crise de l’installation Nous voyons là que la diminution de l’offre de soins dépasse largement la question de la démographie des professionnels de santé, mais implique aussi la motivation de ceux-ci à s’installer dans une activité régulière, notamment en ville. Parmi les facteurs qui ont influé sur cette motivation, nous trouvons des phénomènes démographiques et sociologiques. Ainsi, contrairement à leurs aînés qui sacrifiaient leur vie de famille à l’activité de leur cabinet, parce qu’une organisation familiale traditionnelle le leur permettait, les jeunes générations aspirent à équilibrer travail et éducation des enfants. Au-delà d’une relation culturelle au travail qui a évolué, cette tendance a été fortement déterminée par une féminisation croissante jusqu’à devenir majoritaire depuis plusieurs années. On peut d’ailleurs s’interroger ici sur les raisons pour lesquelles les hommes choisissent moins que par le passé la carrière du soin. Ces souhaits légitimes de ces jeunes soignants ont pour conséquence de diminuer le temps de travail en comparaison avec les générations précédentes. En conséquence, à honoraires égaux, ce moindre nombre de consultations et d’actes rend la gestion financière de leurs cabinets plus difficile. Beaucoup en viennent même à la considérer comme une aventure qui complique une activité déjà lourde de responsabilités professionnelles. Certains se replient vers le salariat. Mais la carrière hospitalière est connue pour être de plus en plus marquée de maltraitance institutionnelle ne serait-ce que du fait de la spirale de l’hémorragie d’effectifs. Quant à l’emploi salarié dans les soins primaires, en maison de santé par exemple, sa rémunération est limitée tout en étant coûteuse pour les collectivités, et incite, dans le privé, par capitation, à une multiplication d’actes aux dépens de l’Assurance Maladie, avec à terme un épuisement chez le soignant. Voilà les principales raisons du succès croissant du remplacement chez les professionnels de santé : il a les avantages du libéral sans en avoir les complications financières de plus en plus dissuasives de la gestion d’un cabinet. Et concernant le phénomène des déserts médicaux proprement dit, les aspirations de ces nouveaux médecins en donnent une autre explication. Il est bien compréhensible que les jeunes ménages qui fournissent l’avenir de la médecine choisissent des zones d’exercice dont les services publics permettent d’assurer dans les meilleures conditions leurs tâches parentales (places d’école, garde d’enfants, …), et a fortiori professionnelles (service postal, couverture du réseau Internet, …). Il est donc logique que ce soit sur les territoires où les politiques nationales et locales d’aménagement ont le plus échoué que le manque d’installation d’une nouvelle génération de médecin se fasse le plus ressentir. Les déserts médicaux, tout en l’approfondissant, sont une des sanctions de l’échec de l’aménagement du territoire.
Un ONDAM purement comptable, déconnecté des besoins de santé de la population Cette crise de l’accès aux soins est en outre renforcée par un effet « ciseaux » : cette diminution du temps soignant advient au moment d’un vieillissement historique de la population, et de l’augmentation de ses besoins qui en procède. A mesure que les patients ont vieilli, les consultations et les soins se sont allongés afin de répondre à la complexité de leurs polypathologies. Mais les honoraires de ces actes sont restés fixes. Le temps de travail des soignants libéraux s’en est trouvé encore dévalorisé. Et c’est pourtant dans ce contexte de tension maximale en termes de réponses aux besoins de santé, que les cabinets des jeunes médecins qui seraient souhaités dans les territoires deviennent de moins en moins viables. En raison d’au moins deux facteurs : – un facteur circonstanciel actuel : l’inflation, qui va précipiter les effets causés par : – un facteur chronique et structurel : les conditions de la convention avec l’Assurance Maladie. Car malgré la conjoncture sanitaire liée notamment au vieillissement, pendant la même période les tarifs des honoraires conventionnés des soignants libéraux sont restés bloqués à euros constants. Seules ont été accordées par l’UNCAM des compensations palliatives et conditionnelles. Or les conditions de ces « revenus opposables » sont inconstantes même entre chaque convention, opaques dans leurs justifications, jusqu’à être déontologiquement douteuses puisque liées à des objectifs basés sur des « référentiels » administratifs parfois sans même l’argumentation d’un consensus scientifique et résultant au mieux d’une moyenne statistique ne correspondant qu’exceptionnellement à l’épidémiologie de chaque patientèle. De conventions en conventions, cela donne aux professionnels de santé un sentiment d’arbitraire qui s’ajoute aux aspects financiers évoqués pour les amener progressivement à se défier de l’activité libérale, en l’occurrence conventionnée. Mais, face à des syndicats de soignants libéraux eux-mêmes conscients de cette enveloppe fermée, peut-on en vouloir à l’UNCAM d’user de tels expédients en guise de revalorisation ? Elle ne peut faire qu’avec ce qu’on lui concède. Et le fait est qu’elle n’a aucune marge de négociation depuis que son budget est encadré par l’ONDAM, qui est à côté de la lettre de cadrage du ministre de la Santé, une des consignes fortes que le politique donne à l’administration de l’Assurance Maladie. Car (à l’exception du « quoiqu’il en coûte » de la crise sanitaire du COVID) depuis la loi constitutionnelle de 1996 devenue l’article 47.1 de la Constitution, l’ONDAM tourne autour d’une limitation d’augmentation budgétaire de 3%, curieusement comparable aux limites de déficit autorisées par le traité de Maastricht, comme si les dépenses de santé n’étaient pas considérées comme des dépenses d’investissement. Que cet objectif soit quasiment demeuré inchangé au fil des ans montre une inspiration essentiellement comptable puisque insensible à la réalité des besoins croissants des Français. Le caractère opiniâtre de cette rigidité a eu sa pleine démonstration dans la dernière LFSS qui n’a même pas tenu compte de l’inflation qui touchait l’ensemble des professionnels de santé, mettant de ce fait en difficultés leurs activités au moment même où l’on prétend vouloir améliorer l’accès aux soins ! Pourtant les faits malheureusement évidents de la ruine actuelle de l’hôpital et de la désertification médicale généralisée paraissent bien une démonstration par l’absurde que les soins nécessitent des investissements particuliers.
Vers une catastrophe sanitaire Cette dégradation de l’état de notre système de soin liée à ce défaut d’investissement dans les soignants a déjà des effets délétères sur la santé publique. Il y a déjà une surmortalité aux urgences par défaut de personnel soignant hospitalier, et maintenant par fermetures de plus en plus banales de services. Il y a déjà une surmortalité en ville par retards de diagnostics et de traitements. C’est l’effondrement de l’offre de soins primaires qui risque de s’ajouter dans les années à venir à cette spirale fatale. Il est évident qu’en pleine période d’inflation, si les tarifs conventionnés ne sont pas fortement réévalués, les soignants libéraux, pour éviter la faillite des petites entreprises que sont leurs cabinets, n’auront plus le choix qu’entre deux options : la cessation d’activité ou le déconventionnement. Les médecins les plus âgés, ceux qui ont les patientèles les plus nombreuses, vont être économiquement poussés à prendre leurs retraites dès qu’ils le pourront. Cela laissera peut-être en quelques mois seulement des centaines de milliers de malades sans suivis. Les patients les plus démunis renonceront à se soigner. Faute de visites à domicile, les patients les plus dépendants ne pourront plus être examinés par un médecin, ne pourront plus être soignés par un infirmier. Arrivés à la dernière extrémité de la dégradation de leur santé, il n’y aura même plus de SMUR pour les sauver. Compte tenu du caractère inédit de ce désastre annoncé, il est difficile de préciser jusqu’à quel degré pourrait aller le surcroît de décès lié à cette implosion de notre organisation sanitaire. Rien ne peut exclure qu’il puisse être comparable à celui de la crise du COVID. Mais si ces morts seront peut-être moins médiatisées, il est probable qu’elles soient vécues beaucoup plus scandaleusement par les Français.
Pour un ONDAM à la mesure des besoins de santé des Français La question qui s’impose est donc : peut-on encore éviter cette catastrophe ? Il en va de la santé des Français mais aussi de la vitalité économique des territoires. Les élus locaux ne peuvent que constater que les entreprises ne peuvent s’installer, ni même rester dans une zone où leurs employés n’auraient pas accès à des soins. Avec ce que cette situation constitue en manque à gagner d’impôts et de cotisations sociales, qui auraient pu contribuer à financer les besoins de santé de la population. Au contraire, réinvestir dans la santé, dans l’hôpital, dans les soins de ville, favorisera l’implantation de commerces, d’entreprises, de nouveaux habitants, qui seront sources de rentrées pour l’Etat et pour la Sécurité sociale. Par ce retour sur investissement, cette revalorisation de la santé peut en partie s’autofinancer. L’un des combles de la situation actuelle, c’est qu’elle a été induite par des politiques d’austérité (numerus clausus, lois constitutionnelle et organiques de financement de la sécurité sociale, HPST, loi de modernisation du système de santé, loi Santé 2022, etc.) qui visaient à réduire les coûts de santé, notamment en réduisant les coûts humains. En créant au passage quelques instances administratives supplémentaires. Et cela a abouti à une santé qui coûte encore plus cher alors même qu’elle est vidée de sa substance : les soignants. Cette logique est sanctionnée par un désastre systémique de plus en plus criant, mais on continue pourtant aujourd’hui encore dans la même direction absurde et littéralement mortifère : ainsi de la chasse à des arrêts de travail dont l’augmentation est pourtant également un des effets de ces politiques qui ont induit les pénuries que nous connaissons, par l’allongement des délais d’accès aux soins secondaires. Il n’y a qu’à voir l’organisation de la santé de certains de nos voisins qui n’ont pas eu ces mêmes obsessions exclusivement comptables, mais un souci simplement pragmatique : leur ratio soignants/administratifs est bien supérieur au nôtre. Ceux qui prétendent sincèrement vouloir sauver notre système de santé devraient peut-être chercher là une inspiration pour trouver de quoi financer une offre de soins renouvelée. Un ONDAM à la mesure des besoins en soins des Français est donc possible. Il se trouve qu’il devient impératif, urgent. Sauf à considérer que les vies des Français ne valent pas cher face à la peur du risque de mauvais points d’agences de notation…
A l’heure où vous examinez le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, les circonstances vous chargent d’une responsabilité inédite. Devant des besoins matériels auxquels ils ont de plus en plus de mal à subvenir, les soignants libéraux arrivent à un point de rupture. Les plus âgés d’entre eux vont être amenés à précipiter leurs départs en retraite ; les plus jeunes fermeront devant le constat que leur cabinet n’est plus gérable, en tout cas dans le cadre d’une convention qui ne tient pas compte depuis trop longtemps des nécessités actuelles de la médecine de ville ; laissant pour chacun d’eux des milliers de patients sans suivis, sans soins, avec les conséquences honteuses pour la France en termes de mortalité dans les années à venir. Il vous revient historiquement d’empêcher cette issue en basant enfin l’évaluation de l’ONDAM sur la réalité des besoins de soins des Français, afin de donner à l’UNCAM la caution politique qui l’autorise à revaloriser une santé libérale qui puisse contribuer à améliorer leur accès ces soins. Il vous reviendra peut-être d’assumer cette même responsabilité si, durant la procédure d’examen du PLFSS, vous sont opposés des recours à l’article 49.3 de la Constitution lourds d’un nombre incalculable de morts de Français. C’est à ces moments critiques de la vie d’une nation que son salut commande de l’audace.