Lettre de réponse à Gabriel ATTAL, Premier Ministre, suite à son discours de politique générale le 30 janvier 2024

Paris, le 31/01/2024

Monsieur le Premier Ministre,

« Le propre d’une société humaine est de regarder en face l’avenir qui se dessine devant elle », dites-vous.

Effectivement, nous nous accordons sur ce point. Vous souhaitez « construire les bonnes solutions » et « corriger ce qui doit l’être ». Nous nous en réjouissons et nous nous tenons à votre disposition pour vous apporter notre éclairage sur l’état du système de santé actuel en France, et plus particulièrement en ville.

Votre génération, ma génération, est en proie au doute, notamment sur notre modèle social.En effet, en moins de 10 ans, l’accès aux soins en France s’est dégradé à vue d’oeil. Il ne tient qu’à nous de changer la dynamique.

Vous êtes là, dites-vous, parce que vous voyez davantage de raisons d’espérer que de douter. Nous en sommes heureux car notre volonté d’améliorer les choses est identique.

Vous parlez de la France comme « un idéal », avec notamment « un modèle social protecteur envié dans le monde entier ». Certes, mais cela n’est plus. Malheureusement, aujourd’hui votre projet (et celui du Président de la République) n’a de cesse que de nous emmener droit vers un système de santé à 2 vitesses, un NHS, modèle anglo-saxon, qui n’a pas brillé par son efficacité ces dernières années.

Pourquoi ne pas écouter les acteurs de terrain, qui aiment profondément leur métier, mais qui par épuisement, désillusion, se retrouvent désabusés et contraints de quitter le navire, juste pour sauver leur peau ?

Pour qu’un soignant puisse prendre soin des autres, il est nécessaire qu’il prenne avant tout soin de lui. Quand les soignants auront disparus, qui sera là pour soigner les Français ? Nous sommes animés par la même envie d’améliorer le quotidien des Français, mais malheureusement, force est de constater que vos propositions sont très mal perçues par la communauté médicale.

  • Vous dites vouloir plus de médecins. La suppression du numérus clausus n’est malheureusement qu’un feu de paille, car les facultés sont limitées par leurs capacités d’accueil. Régulariser les médecins étrangers est une bonne chose, mais pensez-vous réellement qu’aujourd’hui la France peut encore attirer les médecins étrangers, quand elle fait fuir les siens vers les pays voisins ? Les médecins français sont les moins bien rémunérés d’Europe. Où voulez-vous aller chercher de la main d’œuvre médicale ? Hors d’Europe ? Par quel altruisme nous octroyons-nous le droit de spolier de la main-d’oeuvre médicale dans des pays qui en ont également besoin ? Vous souhaitez proposer une passerelle pour les infirmiers (IDE) qui souhaiteraient reprendre des études de médecine. Dont acte, mais savez-vous que la France manque également drastiquement d’IDE et d’aides-soignants ?

  • Vous semblez méconnaître le sujet de la continuité des soins car vous assimilez le SAS et la PDSA. Ce sont 2 choses distinctes. Pouvons-nous vous rappeler par ailleurs, que 95% du territoire est couverte par la PDSA soir et week-end ? L’obligation de PDSA, n’est donc malheureusement qu’un effet d’annonce, qui provoquera encore la fuite de nombreux médecins.
  • Vous souhaitez libérer du temps médical, augmentant d’avantage le nombre d’assistants médicaux. Mais savez-vous que les médecins libéraux ne peuvent financièrement en embaucher, sauf à dépendre une fois de plus des subventions de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM). Cessons l’assistanat, et laissez les médecins embaucher grâce à leur chiffre d’affaire en permettant leur revalorisation conséquente, car oui, un des principaux freins à cette embauche aujourd’hui, est cette dépendance à la CNAM que nous voulons diminuer.

  • Vous évoquez enfin la « taxe lapins ». Nous en sommes heureux. Reste à voir comment celle-ci va s’articuler. Sera t-elle une rémunération uniquement dédiée à la CNAM, ou partagée avec le médecin qui perd en chiffre d’affaire ?

Vous semblez être touché par le sort des agriculteurs, qui, vous dites, « représentent les valeurs fondamentales de notre société : travail, effort et liberté d’entreprendre ». Sachez que le médecin libéral pourrait avoir la même maxime, car oui c’est un entrepreneur en santé, qui travaille en moyenne 55h par semaine, qui a une indépendance professionnelle, et qui doit avoir une liberté d’entreprendre.

Vous souhaitez un « travail qui paie mieux », cependant le secteur de la santé ne semble pas concerné par ce souhait, puisque seul ce domaine n’a pas bénéficié d’une revalorisation au niveau de l’inflation ces 10 dernières années.

Enfin vous dites parler au nom des « Français qui ont le sentiment d’avoir tous les devoirs quand les autres ont tous les droits », « qui ont le sentiment que les décisions se prennent sans eux ». Il semblerait que vous parliez des soignants, et particulièrement des soignants libéraux de ville ! Oui, tout comme vos collègues et prédécesseurs, vous nous avez probablement applaudi tous les soirs à 20h durant un an, en 2020. Vous nous avez soutenu dans cette période difficile, pendant que nous faisions notre devoir et travaillions en donnant de nous-mêmes voir de notre vie pour certains. Mais maintenant vous nous pointez du doigt, et souhaitez nous faire travailler encore plus dans des conditions toujours plus précaires, sans aucune considération.

Alors, acceptez de remettre en cause vos certitudes, changez de vision et écoutez les acteurs de terrain. Echangeons ensemble pour apporter des solutions.

Dr Mélanie RICA-HENRY, présidente de Médecins Pour Demain