Réponse au projet de lutte anti fraude des professionnels de santé

Bonsoir à tous,
 
La semaine dernière, un chargé de mission du ministère de la Santé et du ministère des Comptes Publics nous a annoncé, inscrit dans le plan anti-fraudes fiscales et sociales évoqué par le Président de la République, un dispositif concocté spécialement pour les soignants libéraux : « la suspension automatique de la participation de l’Assurance Maladie à la prise en charge des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux en cas de fraude détectée et avérée ».
 
Voici la réponse donnée par Médecins pour Demain :

Monsieur,

Nous nous permettons de faire part de nos observations relatives au projet de mesure de sanction par « suspension automatique de la prise en charge par l’Assurance maladie en cas de fraudes » dès qu’elles auraient été « détectées », que le gouvernement envisagerait d’inscrire dans un prochain plan de lutte contre les fraudes sociales.
Sans même aller plus loin dans l’analyse de cette proposition, cette simple présentation étonne par le constat d’entorses aux règles élémentaires du droit qu’elle implique :
– Comment l’Assurance Maladie s’arrogerait le droit de juger du caractère frauduleux d’une anomalie « détectée » ?
– Comment la sanction liée à un délit pourrait s’appliquer avant même que ce délit ait été qualifié judiciairement ?

Par ailleurs, vous argumentez cette mesure, que l’on pourrait dire « conservatoire », par une disposition similaire à celle de l’article L.242-1-1 du CSS1. Or cet article se réfère aux infractions 1° à 4° de l’article L8211-1 du Code du Travail2, donc commis par un employeur. La seule similarité pour des professionnels libéraux serait donc limitée aux services d’auxiliaires que ceux-ci emploieraient, et non pas à des rémunérations d’actes liés à leur pratique clinique.
Cela nous donne l’occasion de rappeler qu’à part certaines sujétions par rémunérations conventionnelles conditionnées qui en elles-mêmes sont en contravention avec le Code de Déontologie Médicale et donc le Code de la Santé Publique, les seuls liens des soignants libéraux avec l’Assurance Maladie sont de deux ordres :
– Assurés sociaux par les cotisations à l’URSSAF ;
– Contractants d’une convention, civile par essence.
Ce dernier point implique que les sanctions spéciales en cas de fraude seraient celles négociées dans le cadre de cette convention, en sus des peines pénales ou civiles ordonnées par le tribunal judiciaire compétent. Car, en tant que fraude sociale liée à des cotations délictueuses, seul le tribunal pénal est compétent.
Le caractère nul et non avenu de cette proposition infondée pourrait donc clore ici nos commentaires.

Cependant, un précédent inquiétant nous amène à aller plus loin.

Vous vouliez sans doute nous rassurer en affirmant que « cette suspension automatique aura donc vocation à s’appliquer uniquement aux cas de fraude et non à tous les cas de réclamation d’indus ». Mais qu’en penser quand la LFSS pour 2023 a, dans son article 1023, institué précisément en cas d’indus une mesure basée sur des évaluations hypothétiques que même la jurisprudence considère inique jusque dans les cas d’escroquerie avérée ! (Pour exemples 4 et 5).
Il est dommage que les parlementaires n’aient pas eu la considération de défendre les droits civiques des soignants en soumettant cet article au Conseil Constitutionnel en décembre dernier. Cela aurait évité des QPC (question prioritaire de constitutionnalité) à venir…
Car cet article crée la notion d’un indu du soignant libéral « fixé forfaitairement, par extrapolation » à partir de « l’analyse d’une partie de l’activité du professionnel ». Alors même que la CNAM n’est pas sans savoir, pour avoir été en procédures civiles, qu’en droit la règle de calcul du préjudice est le principe de la réparation intégrale, c’est-à-dire que la victime – la CPAM, en la circonstance – est tenue de rechercher l’étendue du préjudice pour le réparer dans une juste mesure.
Or ces risques d’indus s’accentuent au gré des dernières conventions signées avec l’UNCAM qui augmentent et rendent toujours plus complexes les conditions de cotations des actes par des professionnels, qui sont dans un surmenage notoire et donc source d’erreurs… Sans même y ajouter ceux de la crainte de cette sanction en projet dont on vous a demandé d’évaluer la pertinence, l’un des impacts de cet article 102 sera d’accélérer la fin d’activité de soignants libéraux qui ne pourront prendre le risque de supporter ces recouvrements arbitraires. Il s’agît en particulier des professionnels les plus concernés par ces cotations multiples : les médecins généralistes, et plus encore les IDE libéraux. Ce qui mettra à court terme les patients dépendants en grand péril de défaut de soins à domicile.

Pourtant, nous sommes loin d’être étonnés par cette proposition déconnectée du droit et des enjeux du moment. Nous sommes dans un pays où, plus on se plaint de la pénurie de soignants, plus on complique le travail de ceux d’entre eux qui n’ont pas encore perdu foi en leur métier.
S’il y avait à s’interroger, ce serait plutôt sur cette passion insensée qui amène à traiter comme des délinquants en puissance ces femmes et ces hommes dont les qualités morales et l’abnégation les amènent à consacrer leur vie professionnelle à soigner, parfois à sauver les vies des Français ; jusqu’à créer pour eux de facto une juridiction d’exception.

Vous nous avez informés que votre démarche s’inscrivait dans la préparation des examens du Projet de loi de finance de la Sécurité sociale pour 2024. Ce motif, en plus de l’information des conséquences en termes d’offre de soins et donc de santé publique que ne manquera pas de causer cette nouvelle escalade de contrôle administratif de l’activité des soignants, nous amène à remettre une copie du présent courrier aux futurs rédacteurs de ce Projet de loi et aux parlementaires qui auront à adopter la Loi de finances de la Sécurité sociale.

Avec toute notre considération,

Médecins Pour Demain

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033713017 
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032171344 
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000046791889
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000030414271
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028481421

2 réflexions sur « Réponse au projet de lutte anti fraude des professionnels de santé »

  1. Bonjour,
    Après avoir été des incompétents aux yeux des urgentistes ( les « soigne petits » n’avaient droit qu’au dédain), puis une fois transformés en feignants par certains politicards ( F Valetoux dont la proposition de loi pourrait resurgir dès le règlement arbitral) nous voilà ravalés dans la caste des escrocs ( juste avant celle des intouchables ou va t’on en créer une spécialement pour nous ? ).
    Ce métier à l’engagement moral si exigeant ; ce qui lui donne encore trop d’aura pour ceux qui le régissent ? serait devenu un repaire voire un bastion de la délinquance. Cela en dit long sur les basses manœuvres dans les coulisses de la macronie.
    Ouvrez les yeux, on veut notre peau et pour ça tous les coups sont permis. Il ne faut rien attendre des rencontres avec les uns et les autres car ce sera toujours un marché de dupes.
    A propos de marché, tout cela ne sert qu’à « réguler » les libéraux pour les remplacer par d’autres structures dans lesquelles les MG seront beaucoup plus corvéables ( même pour certains spécialistes). Désormais c’est une « lutte à mort  » avec eux.
    Ils sont capables de tout, y compris d’illégalité notamment face à la menace du decontionnement ils essayeront de courtourner la loi.
    Ils sont tous unis dans le mépris.
    Tout provient d’une volonté politique de nous faire disparaître . A nous de savoir résister et de nous adapter.
    Confraternellement.

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